Où il est (encore) question de livres
Je viens de terminer l'Analphabète d'Agota Kristof.
Je ne me rappelle pas très bien d'où j'ai eu ce livre, il me semble l'avoir embarqué en douce de chez mes parents, alors que je passais devant la pile de bouquins donnés par tante Françoise B. Comme d'habitude lorsque je monte sur le palier, un ou deux titres me font envie et je les prends dans ma valise pour revenir à Nancy, parfois en demandant si je peux, parfois pas.
C'est un beau petit livre que j'ai commencé ce matin entre ma tartine et mon thé. Et comme les bons livres il fait voyager loin dans le temps et l'espace tout en trouvant un écho tonitruant dans mon coeur.
En lisant ce livre j'ai repensé à mon goût prononcé pour la lecture, seule dans ma chambre dans notre ancienne maison. J'aimais bien cette chambre car elle était petite sans que je m'y sente à l'étroit (quand j'y suis retournée des années plus tard je me suis rendue compte qu'elle était en réalité minuscule, et nous étions pourtant deux ma soeur et moi), il y avait une lucarne qui sortait du toit en pente et du joli papier peint à fleurs). Je me souviens que je lisais à peu près toute la journée les livres que je connaissais par coeur à force de les avoir écoutés être racontées par mon père le soir. J'avais aussi un petit magnétophone et j'enregistrais des histoires que j'inventais sur des cassettes de récupération. Je sais qu'une fois j'ai sacrifié une "vraie" cassette pour y enregistrer mes histoires et que je m'en suis voulu. Au travers des histoires que je me racontais j'avais l'impression de dominer une partie de ma vie, m'offir une grande liberté sur laquelle personne ne pouvait empiéter puisqu'elle était secrète. Je devais avoir environ 5 ans.
Il y avait dans ma chambre un pupitre ancien en bois ciré avec des lattes en guise d'assise où je me coinçais parfois les pieds, et comme ma mère ne m'entendait pas depuis la cusine (ma mère vivait dans la cuisine, pas au salon, qu'y faisait-elle au juste en dehors de la préparation des repas ? mystère) quand j'étais là-haut, je me débrouillais en silence pour extirper ma cheville de là-dedans sans trop me faire mal alors que j'avais envie de pleurer.
Une fois, j'ai vu dans ma petite poubelle au pied du pupitre une histoire de petit Ours brun. Je me demandai comment elle avait pu aterrir là puisque je ne la reconnaissais pas; je n'étais pas abonnée au magazine qui la publiait dans ses pages, et ma grande soeur était bien trop grande pour lire ça. Je l'ai donc tirée de la poubelle et gardée avec moi pour la relire plusieurs fois, avec le contentement savoureux qu'offre la découverte d'un objet surprise.
Le lendemain, je me suis dit que peut-être, comme le hasard m'avait offert une histoire une fois, il le ferait encore. Et quelle ne fut pas ma stupeur lorsque je vis une nouvelle histoire de petit Ours brun, jetée dans la poubelle ! Comment était-elle arrivée là ? Qui avait pu entendre mon souhait alors que je ne l'avais pas exprimé avec la voix ?
Je n'ai jamais pu percer ce mystère. C'est un petit mystère de rien de tout, une broutille pour les grands, une pépite pour les petits. C'est certainement à peu près à cet âge que je me suis dit que les livres avaient un pouvoir magique.
J'ai pensé à tout ça ce matin. (et à plein d'autres choses, j'écrirai une prochaine fois, il faut que je fasse à manger pour midi.)
(Clotilde en photo sur le pupitre de mon enfance, décembre 2013)